Robert Fleck

Gudrun von Maltzan nous présente un monde de paradoxes. Ces paradoxes, qui sont à l'origine de cet art de métamorphoses et de métaphores, sont à première vue d'ordre médiatique. Si ces tableaux et installations sont aussi directs d'approche et nous parlent d'un univers ludique, c'est précisément à cause d'une technique picturale singulière, que l'artiste s'est façonnée tout au long d'une œuvre qui désormais recouvre plusieurs décennies. Tout repose sur l'utilisation mineure d'un média aujourd'hui socialement dominateur, la photographie, par un autre média plus traditionnel, qui fut d'ailleurs tout aussi dominateur à son époque, à savoir la peinture. Depuis presque vingt ans déjà, Gudrun von Maltzan a expérimenté toutes les possibilités d'un travail opéré par la peinture le plus directement possible sur la photographie, et dans cette série d'expérimentations se trouve peut-être le vrai fil conducteur de l'artiste. Le travail graphique exercé non plus sur des agrandissements de photos, mais sur des diapositives couleurs à avec donc un espace d'intervention minuscule et un agrandissement de l'image pour ainsi dire perturbée qui n'intervient qu'au dernier moment -, ouvre un accès encore plus direct à un espace imaginaire singulier, qui est celui de Gudrun von Maltzan.

Ce travail exercé en direct sur des diapositives, que pratique Gudrun von Maltzan depuis quelques années et qui détermine ces œuvres récentes, éloigne son œuvre de cette assimilation ou plutôt de cette confusion avec une peinture néo-figurative qui a été faite peut-être trop facilement il y a un peu plus d'une dizaine d'années. A l'époque, Gudrun von Maltzan avait soumis des tirages à grand format de reproductions diverses à un travail graphique exercé sur le papier photographique même, ce qui pouvait amener à une assimilation de ces œuvres à la Nouvelle Figuration alors naissante. S'il est vrai que Gudrun von Maltzan exprime une joie des couleurs et témoigne d'un rapport intensif avec la figuration, choix que l'on retrouve également chez les peintres de la Figuration libre, ce n'est en fait qu'à partir d'un point de départ diamétralement opposé à celui des peintres apparemment nonchalants d'une figuration retrouvée qu'elle a construit sa démarche : chez Gudrun von Maltzan, ce n'est point par l'image retrouvée des jeunes peintres qu'une expression arrive encore à naître dans un monde dominé par les images toutes faites véhiculées par les médias modernes, mais au contraire par le maltraitement, le questionnement ou, à certains égards, par la séquestration des images.

Le travail graphique ou pictural exécuté directement sur une diapositive qui caractérise les œuvres récentes de Gudrun von Maltzan, rend en effet plus palpable certains aspects fondamentaux de cette œuvre qui traite de la peinture sans jamais y toucher. C'est que l'intervention manuelle sur l'image automatique que représente un dispositif est plus humble, plus patiente aussi que sur un tirage photographique. Il s'apparente à une activité d'enlumineur au Moyen-Age, de par le format (24 par 36 mm) sur lequel travaille l'artiste, et de par le jeu de lumière qu'ouvre un travail miniaturisé dès qu'intervient l'agrandissement de l'état final de l'image. Mais d'autre part, le travail graphique devient aussi plus manifeste, et plus dominant. L'origine de cette idée d'un travail graphique sur une image devient donc beaucoup plus nettement visible. Cette pratique qui soutient l'œuvre de Gudrun von Maltzan correspond, comme le montrent en effet les travaux sur diapositive, en premier lieu à la gravure sur bois, média extrêmement important, sinon dominant, dans l'art allemand depuis la Renaissance, mais qui se trouve ici repris, ré-inventé en fonction de l'idée qu'une image, aujourd'hui, n'arrive plus à être une image chargée de sens, donc d'expressivité, que si elle arrive à accéder à un statut de fragment, de ruine, des images toutes-faites qui circulent dans le monde médiatique post-industriel.

Il y a chez Gudrun von Maltzan une rencontre singulière dans l'art français actuel entre une technique et une tradition allemande - celle du bois gravé à et un monde amoureux d'images qui est celui de la tradition française en peinture ou tout simplement dans la manière de vivre. En grattantmineur de cette technique du bois gravé qui avait jusqu'alors toujours été synonyme de violence, de rudesse, et surtout de virilité. Mais ces recouvrements d'images préfabriquées laissent également percer des rêves d'images innocentes, d'images sans fonction immédiate, sans le péché originel de toute image qui est celui de la signification instrumentalisée.

Ce n'est pas par hasard si Gudrun von Maltzan s'est toujours intéressée à une multitude de médias, de la peinture à la photographie en passant par le théâtre, la vidéo et l'infographie. Puisqu'à travers cette imbrication d'un média sur l'autre qu'elle pratique constamment, et qui est devenu son signe distinctif, elle poursuit en effet son rêve personnel, qui est celui de construire un monde imaginaire entièrement individuel, dans lequel le monde imaginaire de la pensée et les images se rencontrent enfin. Dans cette perspective, les dessins de Gudrun von Maltzan sont particulièrement intéressants. Provenant, comme tout dessin, encore plus directement de l'inconscient, ils rappellent les dessins d'artistes que Michel Tapié a qualifié, au début des années 50, d'artistes autres. Avec eux, Gudrun von Maltzan partage le rêve Nietzschéen d'un art rendu à son état originel.


1994 Catalogue de l'exposition au CREDAC